Amis lecteurs du vingt et unième siècle, j'ai fait une découverte sensationnelle en voyageant vers votre époque: il semble qu'une kyrielle de gentils fêlés (bienheureux les fêlés: ils laissent davantage entrer la lumière...) y cherche toutes les occasions possibles pour s'accoutrer de façon pittoresque en hommage à mon très estimable collègue Jules Verne.

 

"Steampunk", ont-ils baptisé ce vagabondage créatif  fort sympathique, source de rencontres pétillantes. Prestement, je saute à bord et rejoins le mouvement, avec d'autant plus d'entrain que, j'entends vous le démontrer dans cette rubrique, mon époque victorienne est, véritablement, steampunk dans l'âme.

 

Les informations qui peuplent cette page sont toutes rigoureusement authentiques. Ébahissez-vous !


Très chère, je vous hèle sur mon mobile...

Nul besoin d'attendre, pour être trognon un portable à la main, qu'une firme à la pomme invente le smartphone (je fus déçu: après vérification, le téléphone ne rend, en rien, son utilisateur plus 'smart', malin).

Le pétulant énergumène ci-dessous est le Sieur Mac Farlane, lancé dans l'un de ses premiers essais de téléphonie mobile, à Elkins Park, Philadelphie, rien moins qu'en... 1919 ! Il en a rêvé, et n'a pas attendu que Sony le fasse. Car cela fonctionnait bel et bien. Il fallut juste attendre quelques décennies pour comprendre que la taille des sacs à mains n'augmenterait pas, et se décider à réduire l'appareil, plutôt.

Source: BNF - Agence Meurisse


Space Moutain, ah la belle affaire !

En 1919, deux inventeurs new-yorkais ont imaginé la version Deluxe Premium de votre célèbre manège.  En voici le projet, détaillé avec beaucoup de conviction dans l'édition de décembre 1919 de l'Electrical Experimenter Magazine. Vous allez voir, c'est très simple.

 

Vous prenez place dans une capsule métallique, dont la forme d'obus géant n'a vraiment aucune raison de vous rendre nerveux. Tiens, c'est cocasse, avant que n'ayez eu le temps de clamer vos convictions pacifistes en guise de prétexte à votre retrait timoré, on vous harnache au sein d'un fauteuil qui peut pivoter sur 3 axes... Céleste, regardez, nous avons l'air de 2 gros mobiles de Noël à flotter ainsi !

 

Les choses se corsent: votre capsule est propulsée par un "canon électrique" (dixit le descriptif) à la vitesse modique, indiquée sur le schéma, de 10 miles à la minute... soit rien moins que 1 000 kilomètres à l'heure ! Pour un peu, vous nous gratifiiez d'un très emphatique bang supersonique !

 

Et, après un vol plané où les 3 axes de votre fauteuil vous permettent de rester toujours droit face à la (dé)route, et où vous réalisez qu'en fait le fauteuil de torture c'était pour calmer le jeu et non pour l'épicer (voir seconde image), vous faites le splash du siècle dans un verre à cocktail géant de 100 mètres de haut, du plus bel effet (sauf par fort vent de travers, la direction décline toute responsabilité).

 

Le coussin d'eau ayant amorti votre décès par compression thoracique, vous réalisez que pour le prix, ça vaut le coup, car ce n'est pas fini ! La capsule tourbillonne un peu, pour ménager ses effets, puis entame de dévaler un gigantesque toboggan jusqu'à un lac où l'on peut procéder à l'inhumation de votre dignité dans la plus stricte intimité.

 

Attention, descendez vite, le projectile infernal est déjà récupéré par une sorte de wagonnet qui le ramène vers l'aire de chargement du canon ! Vous venez de vous délester de 25 cents, nous précise la brochure, pas plus cher que l'accès à des toilettes publiques. Et avec le même effet. Mais là en plus vous avez vu défiler votre vie (si le film autobiographique ne vous a pas intéressé, il est temps de prendre votre destin en main !)

 

Étonnamment, et malgré tous les détails fournis, l'attraction ne vit jamais le jour. Pleutres !!



L'océan ? C'est tout droit en sortant de l'enfer !

Avec les vues photographiques de notre reporter sur le terrain, Hippolyte Delacroix, explorateur.

 

A tout seigneur tout honneur, commençons cette collection de pépites Steampunk par un déploiement de machines fantastiques comme on en vît peu : nous voici au cœur du chantier de percement du Canal de Panama

 

L’épopée, pharaonique (et pour une fois le terme n’est pas usurpé), commença en 1881 et fut confiée par la France à Ferdinand de Lesseps, l’homme qui avait déjà joué les entremetteurs pour acoquiner la Méditerranée et la Mer Rouge, en perçant quelques années plus tôt le Canal de Suez.

 

Las ! Cette fois-ci rien ne se passa comme prévu, braves compagnons, et moi qui en suis contemporain je peux vous dire qu’ici sur le chantier on ne s’esbaudit pas dans les chaumières. Pardon, amis du futur, on ne lol pas dans les chaumières.  Jugez plutôt : pour la période entre 1881 et 1889, la Compagnie du Canal admet 5 618 décès d’ouvriers sur le chantier, avec au choix : fièvre jaune, malaria, dysenterie… essayez aussi notre assiette découverte avec les 3 fléaux en dégustation! Et ça, c’est selon les organisateurs, ventrebleu, parce que des sources américaines de l’époque évoquent plutôt 22 000 morts… Le chantier avait acquis une tellement bonne réputation que nombre d’ouvriers apportaient (authentique !) leur propre cercueil en débarquant à Panama pour s’enrôler. Remarquez, si mes contemporains du Titanic en avaient fait de même en embarquant, ils auraient pu s’en servir de chaloupes, qui faisaient cruellement défaut. Et couper au passage l’herbe sous le pied à votre Hergé sur une des idées fortes des Cigares du Pharaon. Mais je m’égare. Bref, le chantier de Panama est un enfer.

 

Ajoutez un sérieux coup de shaker avec un tremblement de terre en 1882, le genre qui vous calme les ardeurs d’une armada d’ouvriers. Pardi : quand on démange le sol en le creusant, il semble somme toute fort normal qu’il se grattât !

 

Il fallut, ensuite, renoncer au projet d’un canal « à niveau », (c’est-à-dire ne comportant aucune écluse sur le parcours, pour simplifier la navigation), car il aurait fallu creuser à des profondeurs titanesques en certains points, dont un massif montagneux, et ça c’est un peu de la gourmandise quand déjà tout le monde tire la langue ! En cours de chantier, Lesseps se fit une raison et accepta l’idée d’une succession de 10 écluses … qui seront conçues par un brillant ingénieur de mes amis, un certain… Gustave Eiffel. Vous ne le connaissez sans doute pas, c’est regrettable. Ce gaillard a plus d’une tour dans son sac.

 

Comme je suis captivé par le suspense de la saga du chantier, et qu’à mon époque victorienne le binge watching n’a point encore été inventé (Céleste, vous me rappellerez de le faire, ma chère ?...), je me suis propulsé quelques années en avant avec mon translateur temporel, pour voir la fin, en compagnie du Comte Halerth von Spoiler. Je vous la livre céans. Après la faillite de la Compagnie française (lâchée en pleine panade par, notamment le Crédit Lyonnais et la Société Générale… ah, déjà ?...), les américains, pour l’économie desquels ce percement est crucial, reprendront les choses en main. Le genre grosse main, à la John Wayne : fin 1906, ils disposent sur place de 26 000 hommes. Oui, en 1906, on y est toujours…

Notons quand même, cocorico, que les yankees utiliseront, pour résoudre le casse-tête des changements de niveau du canal, une étude écrite depuis 1879 par un français, Adolphe Godin de Lépinay, qui n’avait pas du parler assez fort à l’époque. Ou n’avait pas relayé sur Twitter.  Son approche, fichtrement ingénieuse, utilise 3 séries d’écluses et surtout comporte la création d’un lac artificiel, le lac Gatún, qui permettra d’éponger les crues de la rivière Chagres en période de saison des pluies, la bougresse faisant parfois yoyoter le niveau de l’eau entre 1 mètre et… 8 mètres !

Comme les américains aiment bien les histoires qui finissent bien, ils profitent de l’élan pour résoudre le fléau de la malaria (découverte de son origine, installation de moustiquaires et fumigation de toutes les baraques du chantier), c’est bon pour le moral.

 

Et pour les muscles fatigués, qu’est-ce qui est bon ? Des machines modernes, pardi ! Et le voilà, notre steampunk triomphant ! Admirez la galerie de photos dont je vous gratifie : pelleteuses à vapeur montées sur rails, déchargeurs mécaniques… ça vient des States, c’est tendance et ça change la vie : cette sensation s’appelle… coke ! (pour mes lecteurs millenials, coke est le vieux nom du charbon ; non parce que si vous ne le savez pas, tout de suite c'est moins drôle). De quoi prendre des inspirations pour vos décors et machines steam, non ?...

 

Victoire ! Le canal est finalement inauguré le 15 août 1914, après 33 ans de sueur et de larmes. Et c’est bien connu, 1914 allait être, pour de bon, la fin de la sueur et des larmes…